Rares étaient les fois ou Sadaharu acceptait de se rendre dans un lieu fréquenté par les humains et autres individus nocturnes, une fois la nuit tombée. Bien souvent il préférait rester tranquillement chez lui, dans sa modeste demeure d'Arakawa dans une petite ruelle peu fréquentée. L'austérité des lieux ne lui convenait que trop bien, son calme n'était perturbé que par le doux bruit d'une page tournait, du bruissement d'une plume sur un papier, ou du bas son d'une télévision qu'il regardait à peine. C'était ainsi que se déroulaient la plupart de ses soirées ; à profiter de la qualité d'un ouvrage, à écrire tout comme l'exigeait son travail qu'il appréciait, ou à regarder un quelconque film susceptible de l'intéresser. Et ce n'était qu'une fois que la nuit se faisait sentir que le vampire s'aventurait dans les rues sombres de la capitale, pour faire d'un quelconque humain son repas, avant de rentrer paisiblement chez lui, rassasié.

Pourtant, il lui arrivait à de rares occasions, comme en cette soirée, de sortir pour profiter du monde extérieur. Ce n'était certes généralement rien de bien exceptionnel, se contentant bien souvent de feindre d'aller boire un verre dans un quelconque bar de Tôkyô. Aussi avait il choisi cette fois ci un établissement lambda de l'arrondissement du Minato, où vivait son père. Choix stratégique, du fait que le vampire avait envisagé une visite improvisé à son père qu'il n'avait pas vu depuis un certain temps.
Le lieu était calme, doté d'un certain confort et luxe au niveau de la décoration, tandis qu'une clientèle modeste se gardait bien de hausser la voix pour éviter de perturber la sérénité des lieux, ce dont l'homme n'était que trop reconnaissant. S'installant à une table quelconque dans un coin quelques peu à l'écart, il patienta en se contenant de détailler les lieux. Levant de temps à autres les yeux de sa contemplation, il observait les personnes présentes, réfléchissant déjà à qui pourrait lui servir de repas pour ce soir...

Bien rapidement, une jeune femme employée vint lui demander avec un charmant sourire ce qu'il désirait commander, ce à quoi il répondit poliment qu'il souhaitait un quelconque alcool – dont il n'aurait de toute façon pas le goût. Tournant les talons, la demoiselle s'en alla pour aller chercher la boisson quémandée, tandis que l'écrivain la suivait du regard. Le temps qu'elle ne revienne vers la table du concerné, Sadaharu avait déjà déposé sur la table un billet dont le montant couvrirait largement le prix de la consommation, et ce même s'il ne roulait pas sur l'or. Mais peu lui importait.
La serveuse revenant du comptoir, plateau en main sur lequel trônaient entre autre son verre, mais aussi d'autres consommations destinées à d'autres clients, eut la maladresse de se mélanger les pieds sur un sol parfaitement plat, et ce à quelques pas de la table du client. Les différents contenus se mélangeant durant la chute, le vampire ne fut pas épargné par quelques éclaboussures des différents liquides. Silencieusement consterné, bien qu'il ne laissa rien paraître, l'attention du vampire fut bien rapidement attirée sur autre chose qui l'interpella aussitôt. L'odeur du sang. Levant la tête de son pantalon aspergé, son intention se porta alors sur la demoiselle accroupie au sol, qui n'avait put échapper à une coupure en ramassant les débris de verre jonchant le sol de bois. Quelques gouttes perlaient le long des phalanges de la serveuse, dont le visage était déformé par un rictus de douleur... Tandis que Sadaharu ne put retenir une certaine déglutissions à la vue et l'odeur de ce liquide carmin qui ne faisait qu'éveiller son appétit. Il parvint néanmoins à demander à la serveuse d'une voix posée si tout allait bien, ce qui déporta l'attention de cette dernière des débris de verre au sol, pour qu'elle constate qu'elle avait malencontreusement aspergé le client. Lui présentant de plates excuses d'une voix navrée, elle lui proposa de l'aider à nettoyer tout ceci, ce que le vampire ne put refuser. La japonaise le pria de la suivre aux toilettes pour qu'elle puisse l'aider à rattraper les dégâts.

Une fois dans le lieu en question, carrelé de blanc, la demoiselle se précipita vers un lavabo pour humidifier un quelconque linge pour éponger les dégâts des vêtements de Sadaharu... Qui ne lui en laissa guère le temps. Lui saisissant les poignets d'un geste rapide, bien qu'un peu maladroit dû à la faim, l'écrivain ne perdit plus de temps pour planter ses canines dans le cou fin de sa proie qui tâchait tant bien que mal de se débattre, avant que son corps ne se fasse moins raide... Jusqu'à ce que mort s'en suive. Un dernier souffle gémissant fut lâcher par les lèvres de la jeune femme, avant que Sadaharu ne se recule une fois sa soif étanchée. Soupirant de bien-être, penchant la tête de gauche à droite pour se débarrasser de quelques raideurs, l'homme réalisa pourtant qu'il était là dans une situation gênante, dont il ferait mieux de se dégager au plus vite. Jetant un rapide coup d’œil aux alentours, il remarqua qu'une fenêtre aux vitres brouillées était alors entrouverte, ce qui serait un excellent moyen d'échappatoire. L'ouvrant davantage, il passa par cette issue, cadavre sur les bras... Avant de s'enfuir tel un voleur, dans cette ruelle adjacente au bar, qui était fort heureusement déserte. Abandonnant le corps derrière un conteneur qui se trouvait là, il referma le fenêtre comme il put, avant de filer en silence.

Abandonner à chaque fois un corps suite à ses forfaits ne faisait que lui rappeler à chaque fois la façon dont il s'était débarrassé de son jumeau, soixante-dix ans auparavant... Et même si ce souvenir lui était récurant, il ne le hantait pas pour autant. Certes, il admettait que toute cette manigance n'était pas de ces faits dont on pouvait se vanter, et pourtant... Il n'en éprouvait que peu de remords. Oui, il avait usurpé l'identité de son frère, oui, il s'était hissé à sa place dans les rangs de la Yakuza... Mais rien n'y faisait. Et puis après tout, tout ceci n'était qu'une époque lointaine et révolue, que presque tout le monde avait oublié. Il préférait ne pas porter le fardeau de ce mensonge, optant pour une vie au jour le jour qui le mènerait sûrement un jour à cette réussite à laquelle il aspirait tant.

Longeant les longues avenues du Minato, c'est bien rapidement qu'il se retrouva face à un imposant building qui ne lui était que trop familier. Poussant une porte en verre pour longer un corridor luxueux et lumineux, il emprunta l'ascenseur sans porter attention aux remarques que l'on pouvait faire au sujet de l'état de sa tenue vestimentaire.
Se retrouvant finalement au septième étage, il longea un nouveau couloir pour arriver devant la porte de son père vampirique. Bien qu'il savait que cet endroit était encore d'une certaine façon son chez lui, il frappa néanmoins – politesse oblige – avant de pénétrer dans le vaste appartement qu'était celui de Hebichi. Sans même que le propriétaire des lieux ne se trouve face à son fils, ce dernier dit d'une voix assez haute pour être entendu ;

« Bonsoir. »

Le père à la longue chevelure d'ébène ne tarda pourtant pas à faire son apparition, et avant même que son regard carmin n'ait le temps de jeter un coup d'œil à l'état de son fils, Sadaharu baissa le regard une fois encore pour constater les dégâts des liquides sur ses vêtements... Avant de relever les yeux vers son vis-à-vis, pour dire d'une voix plate ;

« Bon... Sans commentaire. Nous dirons que c'est un petit accident de chasse. »

A peine entré dans l'appartement, Sadaharu n'eut guère le temps d'ajouter quoi que ce soit, que son père le pria de le rejoindre dans le salon, prétextant le devoir de lui parler de certaines choses. Libéré de l'étreinte de son père, le jeune vampire le dévisagea en silence, sourcils arqués ; il y avait de quoi attiser la curiosité. Connaissant son père, il se figurait bien que Hebichi n'aurait pas employé ce ton relativement grave si c'était pour discuter thé et petits biscuits, et ce malgré le sourire qu'il lui avait adressé. Muet, il hocha néanmoins la tête sans en demander davantage, demeurant néanmoins perplexe. Marchant en silence vers la chambre qui était la sienne, il demeurait songeur, voire même craintif de ce que son « paternel » avait à lui annoncer. Mais il ne rimait à rien de se torturer les méninges en tâchant de chercher quel pouvait être le sujet de ces préoccupations, du fait qu'il en aurait la réponse d'ici quelques instants.

D'un geste calme et précis, il ouvrit la large penderie de laque noire, avant d'en inspecter le contenu. De toute évidence, son choix se porterait une fois encore sur de simples vêtements sombres, même si son regard s'attarda sur d'autres accoutrements plus extravagants. Saisissant une simple chemise et pantalon respectivement noirs, il abandonna ses vêtements au sol pour en enfiler de nouveaux, avant de repartir d'un pas tout aussi détendu qu'à sa venue.

Arrivé au salon, il trouva son père sur le canapé, où il devait certainement se trouver avant que Sadaharu n'arrive au domicile. La preuve en était le bloc de papier laissé sur le guéridon de verre, sur lequel était esquissé une plante qu'il n'aurait su identifier... Soit, il prit place à son tour sur le sofa, saisissant le bloc de papiers pour regarder plus attentivement le croquis, avant de le reposer avec tout autant de circonspection. S'enfonçant dans le rembourrage du canapé, il leva finalement les yeux vers son père, sondant le visage de ce dernier de son regard d'ébène, tout en restant muet.
Ce qui d'ailleurs ne dura pas longtemps, sa curiosité étant décidément bien trop vive pour se contenter de rester de marbre en attendant que son père prenne de nouveau la parole afin de lui fournir plus amples explications ;

« Alors, qu'est ce que tu devais me dire ? »

Son ton s'était fait naturellement sérieux, bien qu'on devinait aisément dans cette intonation une curiosité assez mal dissimulée, tandis que son regard restait fixé sur le visage de son père, captivé. Il n'avait strictement aucune idée de ce dont ce dernier pouvait bien vouloir lui parler. Dans une certaine mesure, il se doutait bien que c'était de sujets certainement sérieux, mais le fait que son père ne l'ait contacté pour discuter l'en dissuadait quelques peu... A moins que ce ne soit Sadaharu lui-même qui ait prit les devants, malgré lui.
Le jeune vampire croisa les bras, tandis qu'un sourire s'insinuait sur ses lèvres, alors qu'il lâchait ;

« Aurais je fait quelque chose qu'il ne fallait pas ? »

Il se doutait bien de la réponse, mais c'était une façon comme une autre de se rassurer lui même. Mais au final, il se savait raisonnable, et que du coup il n'avait pas fait - à sa connaissance - un quelconque excès dans le domaine vampirique, et ce même en cherchant dans ses souvenirs les plus proches. A moins que Hebichi veuille l'entretenir d'un sujet tout autre, ce qui était fortement possible... Et il espérait fortement que ce soit le cas. Tout aussi patient soit son père, il n'aurait en aucun cas souhaité subir les foudres de ce dernier s'il venait à se mettre en colère.

Les hypothèses qu'avait formulé Sadaharu se dévoilèrent exactes ; il n'avait pas fait quelque chose qu'il ne fallait pas. Le fondateur laissa échapper un rire concis, kiseru entre les lèvres, avant de rassurer son fils sur ce point. Certes, le jeune vampire en fut quelques peu rassuré, mais ses tendances pessimistes le poussèrent à redouter une réalité bien pire encore... Et il eut fortement raison d'en venir à cette conclusion, Hebichi l'assurant que la vigilance serait désormais de mise, bien plus qu'auparavant. L'ancien yakuza, impassible bien que toujours curieux, continua à contempler son père en attente de davantage d'explications. Son visage filtrait à merveille son inquiétude, bien que ce sentiment se faisait d'autant plus présent chez le jeune vampire. Bien rapidement, le plus âgé reprit la parole pour expliquer qu'au cours d'une de ses chasses, il avait été confronté à un quelconque informateur au service d'un certain Kuromiya. Bien entendu, le nom de Sensui ne lui était pas inconnu, bien que Sadaharu soit généralement en marge de la société vampirique, et ce même si son père était un des membres du conseil. Néanmoins, outre dire que Kuromiya Sensui était un nom connu chez la race vampirique, et parfois même redouté, il n'aurait sut que dire à son propos, si ce n'était qu'il était propriétaire d'un bar à alcool dans le quartier de Shinjuku, ce que Hebichi confirma bien rapidement. Quant à savoir qui était cet « épouvantail peinturluré », Sadaharu conclut qu'il devait s'agir de son fils vampirique, bien qu'il n'en soit pas certain. Mais ça n'avait, après tout, guère d'importance en l'occurrence. Hochant discrètement la tête en signe d'approbation, le jeune vampire resta tout ouï à la suite du discours.

Lâchant un soupire, le fondateur poursuivit. L'humain n'en était pas sorti indemne, comme le jeune vampire pouvait s'en douter, mais Sensui était entré en scène pour sauver la mise à son larbin, forçant ainsi Hebichi à battre en retraite, lui ayant infligé une blessure. Bien que la curiosité de Sadaharu soit davantage piquée, ce dernier garda le silence jusqu'à ce que son père ait terminé. Les yeux carmins se posèrent sur lui, tandis que son père déclarait que l'informateur avait finalement lâché son nom, une fois la confrontation terminée... Étrange. Ses sourcils se arquèrent, tandis que les interrogations inondèrent peu à peu ses pensées ; qu'est ce que cet illustre inconnu avait put découvrir à son sujet ? Lui qui se pensait des plus discrets, il était loin d'imaginer qu'un mortel de cette génération ait pu découvrir ses magouilles à lui, quand il était humain, soit il y a environ soixante-dix ans de cela. Vraisemblablement, Hebichi lui même semblait étonné de ses connaissances...
Finalement, le fondateur s'approcha du jeune vampire pour laisser sa main glisser le long de son visage, tandis que le regard d'ébène de Sadaharu se plantait de nouveau dans les yeux écarlates, toujours aussi placides. Son père annonça que l'humain en question ne serait sûrement plus très longtemps de ce monde, mais le problème majeur restait néanmoins Sensui, qui continuerait à veiller les arrières de l'informateur. Ainsi le vieux vampire représentait bien une menace de taille, et Sadaharu saisissait maintenant pourquoi son nom était si -tristement ?- connu chez les vampires.
Visiblement, le fondateur était arrivé au bout de son discours, aussi le jeune ne perdit guère de temps pour prendre la parole à son tour, sa curiosité étant bien trop agitée pour rester silencieuse ;

« Reste à savoir pourquoi Kuromiya peut bien s'intéresser à nous, surtout. »

D'après ce qu'il avait compris, Sensui était un vampire indépendant, qui ne semblait guère vouloir s'attacher à un quelconque conseil... Alors pourquoi embauchait il un informateur ? Il avait peut-être main mise sur Tôkyô, mais il ne devait guère avoir soif de pouvoir politique, s'il avait refusé de rejoindre le conseil.
Se penchant en avant, pensif, son coude droit se posa sur un de ses genoux, tandis que sa main estropiée rejoignait le bas de son visage, son regard posé dans le vide. Ses doigts caressant les traits de sa mâchoire, il songeait à autre chose, aussi fit il part d'une hypothèse à vois haute ;

« Aussi, es tu sûr que Kuromiya est l'unique menace ? »

Certes, ce n'était pas très clair. Ses yeux se posèrent de nouveau sur son père vampirique, avant qu'il n'ajoute ;

« Peut-être que cet informateur est au service de quelqu'un d'autre. Rien ne dit qu'il est dévoué uniquement à Kuromiya. Après tout, je ne vois pas en quoi ce dernier aurait des intérêts à savoir des choses à notre sujet. »

Sérieux jusqu'à dès lors, son visage se fit moins tendu pour déclarer sur un rire concis ;

« Après tout, je ne vois pas en quoi mes bêtises humaines pourraient l'intéresser. »

A moins de les utiliser comme moyen de pression ? Sadaharu était peut-être bien naïf, mais jusqu'à dès lors, sa vie vampirique s'était passé sans grandes vagues, donc il ne voyait pas pourquoi ce serait chose qui changerait maintenant...
De nouveau sérieux, il demanda alors, curieux ;

« Tu n'as pas réussi à avoir le nom de cet informateur, par tout hasard ? »

Hebichi ne tarda pas à reprendre la parole pour répondre aux quelques questions que le jeune vampire avait posé. De fait, le regard sombre de ce dernier se désintéressa de l'espace vide qu'il contemplait quelques instants auparavant, pour se poser dans le regard carmin de son père, qui le fixait. Demeurant dans une même position pendant quelques instants, il laissa sa main estropiée continuer à caresser les contours de sa mâchoire, avant qu'elle ne rejoigne sa jumelle pour croiser les doigts, entre ses genoux. Hebichi lui adressa un sourire, expliquant qu'il n'avait pas pu avoir le nom de l'informateur en question, mais qu'ils n'auraient guère de difficulté à l'obtenir... On est manipulateur et habile, ou on ne l'est pas, et ils formaient à eux deux un duo tout particulièrement doué, à vue de leurs exploits passés. D'ailleurs, ce constat fait à voix haute extirpa à Sadaharu un sourire amusé, qui hocha la tête, tout à fait convaincu. Néanmoins, il se fit bien vite de nouveau sérieux pour ajouter ;

« C'est certain, ce n'est pas chose qui devrait faire difficulté. Mais si Kuromiya constate que nous tournons trop prêt autour de son pantin, on risque de s'attirer davantage de foudres de sa part... »

Hebichi avait lui même préconiser la prudence, non ? Donc autant ne pas s'intéresser de trop prêt à cet humain de malheur... Tout du moins, tant qu'il n'était pas à l'origine de trop de dégâts. Sadaharu ne tenait fichtrement pas à voir sa réputation salie, surtout quand on voyait à quel point il était obnubilé par sa réussite et la reconnaissance. Rapidement, son père reprit la parole pour souligner la perspicacité du jeune vampire quant à l'allégeance de l'informateur ; elle était au plus offrant. Enfin, allégeance... Disons plutôt qu'il offrait ses services, plus précisément. Et comme le souligner le vieux vampire, il n'avait sûrement que faire de la véritable loyauté. Sadaharu resta silencieux à cette vérité, car c'était plus ou moins son cas, toutes choses considérées ; la seule personne à qui il était véritablement attaché était son père vampirique. Le jeune vampire s'affala sur le dossier du sofa, tandis que le fondateur tira une fois encore de sa pipe, avant de poursuivre en disant que leurs semblables ne savaient sûrement plus que faire pour le surveiller... D'où le recours à un informateur. Mais quand il parlait de ses semblables, parlait-il du conseil ? Des questions commençaient de nouveau à poindre dans l'esprit de Sadaharu, mais ce dernier laissa son père poursuivre sur un ton sarcastique que le bal à la fin du moins serait sûrement l'occasion rêvée pour découvrir quelques choses... Et notamment par l'intermédiaire de Hiraiwa Shino, un membre du conseil du Kantô.
Le jeune vampire reprit alors la parole, peut-être un tantinet contradictoire avec les hypothèses qu'il avait faite quelques instants auparavant ;

« Tu penses vraiment que les membres du Conseil même ont recours à ce triste procédé ? J'en doute, car s'ils avaient vraiment eut des informations à ton sujet par le billet de cet individu, cela ferait longtemps que tu aurais subit les foudres de la grande fondatrice, non ? »

Certes, il avait lui même formulé l'hypothèse d'une autre menace... Mais la vérité qu'il venait d'énoncer avait du sens également, à moins que les autres membres du Conseil ne soient assez fourber pour le sermonner lors du bal vampirique... Mais ça paraissait assez peu probable. Puis la société vampirique était nombreuse tout de même, donc les potentiels soupçonnés étaient nombreux. Néanmoins, le fait que Sensui soit venu pour intervenir l'autre soir laisser comprendre que l'informateur travaillait notamment pour le gérant du Bloody Sunday... Ou pas. Bon sang, les possibilités étaient bien trop nombreuses dans l'esprit du jeune vampire, qui n'avait pas même réalisé qu'il s'était redressé comme précédemment, l'air profondément pensif. Il poursuivit, d'une voix moindre, presque dans un murmure pour lui même ;

« Et Kuromiya a assez d'influence à Tôkyô pour pouvoir prétendre à une place importante au Conseil... Sûrement cherche t-il a garder un pouvoir politique propre et indépendant, pouvant presque contre-carrer les décisions du Conseil... Donc c'est peut-être est ce lui, la véritable vraie menace ? ... »

C'est alors la voix de l'autre vampire qui le sortit de cette songerie à voix haute. Son père avait abandonné le kiseru sur la table basse, et recommandait une fois encore la prudence à son fils, tout en glissant une main dans la chevelure sombre et mi-longue de Sadaharu. Plus conscient, le jeune vampire hocha la tête en guise de promesse. L'idée d'être considéré comme une faiblesse lui fit doucement froncer les sourcils, mais il savait que c'est la une vérité, donc il ne pesta pas... Plongeant une fois encore son regard dans celui de Hebichi, il reprit ;

« Néanmoins, si tu me recommandes la prudence, ne ferais tu pas mieux d'en faire autant ? Si Kuromiya est aussi puissant qu'on le raconte, il vaudrait mieux éviter de faire des vagues lors de la réception, non ? »

Au delà de la prudence qu'on lui avait recommandé, c'était aussi le tempérament discret de Sadaharu qui s'exprimait là. Et dans ce genre de cas, ce trait de caractère revenait souvent au galop ; il voulait à tout prix éviter d'attirer l'attention. Contradictoire avec ses rêves de grandeur ? Plus ou moins... Disons plutôt qu'il voulait qu'on l'évalue à sa juste valeur, sans pour autant le mettre sous le feu des projecteurs... Un roi discret, mais présent, en somme.
Soupirant de lassitude à cette situation compliquée, il se laissa de nouveau tomber sur le dossier du canapé. Il déclara alors, sourire quelques peu amusé et taquin au lèvres, tandis qu'un rire laconique s'en échappait ;

« Cette situation est bien trop compliquée pour moi me semble t-il... Qu'aurais je donner pour avoir un parent vampirique plus discret ? »

Il plaisantait, bien entendu. Enfin, à moitié... Les situations compliquées étaient difficiles à gérer, mais fichtrement plus intéressantes que la routine habituelle. Et on peut dire qu'en l'occurrence, les sujets difficiles étaient à foison !

Silencieux, mais loin d’avoir l’esprit vide de maintes interrogations encore présentes, Sadaharu lâche un nouveau soupir… Oui, décidemment, les prochaines semaines seraient sûrement trépidantes, ce dont il était bien loin de se plaindre. Ces dernières années avaient été sans vagues et silencieuses, et peut-être un ennui certain se faisait il ressentir, sans que le jeune vampire en ait pour autant conscience. D’une nature excessivement calme, il se contentait juste que le monde extérieur ait sa petite influence sur son train-train quotidien, sans qu’il ait à remuer le petit doigt. Enfin… Disons plutôt qu’il allait maintenant subir l’impact de sa conduite humaine, avec un décalage de soixante-dix ans. Et encore, subir l’impact était sûrement là un grand mot ; disons plutôt qu’il allait devoir être sur ses gardes, comme l’avait recommandé le vampire du Conseil, si Kuromiya et son larbin veillaient à ses traces. Mais passons !

Bien qu’inlassablement pensif, Sadaharu n’en reste pas moins attentif à son père, qui de nouveau prend la parole, pour cette fois annoncer une évidence selon lui ; cela faisait bien longtemps que certains membres du Conseil aspiraient à le voir quitter son poste… D’une certaine manière, le jeune vampire s’en doutait ; bien que très attaché à son père, mais aussi très reconnaissant, il n’en était pas pour autant aveugle. Même si de toutes évidences, il n’aurait jamais espéré voir son père se faire chasser du Conseil. Il se contentait d’une neutralité silencieuse, espérant néanmoins que leur situation puisse rester la meilleure qui soit, ce qui était pour l’instant le cas. Et visiblement, ce n’était pas près de finir, Shiro étant près à accorder son soutien à Hebichi, de telle façon que ce dernier ne risquait en rien sa place… Du moins jusqu’à un certain point ; il ne fallait tout de même pas franchir une certaine limite.

Bientôt, le plus âgé en vint à faire une hypothèse à laquelle Sadaharu n’avait guère songé ; Kuromiya et le Conseil avaient sûrement quelques liens, et de fait, les membres pouvaient très bien avoir des informations par son biais… C’était plausible, en effet, et ce même si Sensui semblait vouloir éviter d’être trop lié au Conseil. Enfin, il payait le prix de son pouvoir, si c’était le cas. Mais toutes choses considérées, ça n’avait guère d’importance ; Hebichi était de loin assez perspicace pour ne pas se faire prendre au piège. Néanmoins, se levant, le père vampirique admet que ce n’est là qu’une hypothèse, et que rien n’est moins sûr… Après avoir fait quelques pas, il se retourne vers Sadaharu en annonçant que Kuromiya avait déclaré faire ces recherches pour son propre compte. Mais bon, au point ils en étaient, il était fichtrement difficile, voire même impossible, de faire confiance en cet individu. Et quand la discussion en revint à la réception qui aurait lieu à la fin du moins, le jeune vampire, qui est toujours affalé sur le dossier du sofa, a un hochement tête d’approbation quand Hebichi annonce qu’il n’a pas l’intention de faire un quelconque scandale lors de cette collation. C’était sûrement bien plus sage d’agir ainsi… Mais se priver de représailles serait tout aussi stupide, et le fondateur fait bien comprendre qu’il ne compte pas en rester là, et que son imagination est généralement bien fournie en ce genre de situation. Un sourire amusé se glisse d’ailleurs sur les lèvres de son fils, qui annonce en le fixant ;

« Je n’en doute pas un instant. J’imagine que tu y as déjà réfléchi, et j’espère que tu me diras ce qu’il en sera en temps voulu. Je ne voudrais pas rester à l’écart de cette histoire, même si je compte bien rester tapi dans l’ombre et prudent, comme tu me l’as recommandé. »

En tout cas , la remarque qu’il avait lâché quelques instants auparavant extirpe un rire bref à son père, qui remarque que si c’était un vampire plus calme qui s’était chargé de son cas, le résultat ne serait sûrement pas aussi brillant qu’à l’état actuel. Et puis mine de rien, le caractère de son père, même s’il avait posé des problèmes durant quelques temps au début, ne faisait qu’entretenir celui de son fils, exclusivement basé sur son ambition. Et quand on a un père membre du Conseil, comment ne pas être encore plus ambitieux, je vous le demande ! A ce fait, Sadaharu laisse son sourire amusé, hochant doucement la tête, comme pour avouer une défaite ; après tout, Hebichi avait raison.

La conversation prend alors un tout nouveau tournant, laissant derrière eux sujets sérieux et autres prises de têtes stratégiques. Après tout, les mots importants avaient été échangés et Sadaharu savait désormais à quoi s’en tenir ! Son père vampirique lui demande alors ce qu’il comptait faire ce soir. A y songer, la perspective de retourner rôder dans les environs pour rentrer chez lui n’était pas prudente, vu son repas de tout à l’heure… Aussi annonce t-il ;

« Vu ma chasse de tout à l’heure, je pense rester ici au moins pour ce soir. Et ça fait fichtrement longtemps que je n’étais pas revenu ici, donc je vais sûrement occuper ma chambre. Je verrai bien pour la suite ! »

Quant à ce qu’il allait faire, il n’en savait foutrement rien. Rassasié, il n’avait pas l’intention de sortir chasser, donc sûrement allait il passé la nuit à flâner ou à écrire. Occupations qui ne le changeraient pas, certes…